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Source: Tela botanica
Hervé LOT a travaillé comme chercheur à l’INRA d’AVIGNON sur l’identification, la détection, l’épidémiologie de nombreux virus des cultures et la recherche de gènes de résistance durables contre ces virus. Il nous délivre ici son analyse sur le développement des OGM et nous donne son opinion sur la récente controverse au sujet des études de Gilles-Eric Seralini sur la nocivité des OGM Monsanto.

Petit Préambule

Les premières expériences scientifiques montrant la possibilité d’inclure dans un organisme vivant un ou plusieurs gènes « étrangers » et de le faire « s’exprimer » ont été publiées dans la fin des années 80 : elles ont été réalisées sur des plantes. Par la suite, la stratégie, impliquant des méthodes de biologie moléculaire, s’est développée chez l’animal, puis sur l’homme.

Dès le début des années 90, la multinationale US Monsanto, industriel chimique (productrice du fameux « agent orange », défoliant largement épandu au Vietnam) ayant élargi ses activités aux Biotechnologies publie des résultats montrant qu’elle savait produire des plantes transgéniques : un maïs rendu résistant à la pyrale (chenille très nuisible) en lui faisant produire une toxine, un tabac « résistant » à un virus... Le principe méthodologique a été breveté, verrouillant ainsi toutes les applications - qui auraient abouti - obtenues par des institutions publiques ou privées.

Devant les critiques d’un petit nombre de scientifiques, des arguments (parfois un tantinet obscurantistes) de groupes ou associations échaudés par certaines dérives de la recherche appliquée, Monsanto avançait - et continue plus de 20 ans après - des arguments très forts :

1) Les Organismes Génétiquement Modifiés permettront de nourrir une humanité qui atteindra 9 milliards d’ici 2020.

2) Les OGM permettront par ex. de faire produire par des plantes des vaccins contre des maladies contre lesquelles on est démuni (ex. « brandi » : un bananier générant des anticorps contre le paludisme). Je n’aborderai pas ici le cas des plantes et animaux-OGM pour produire des médicaments (molécules thérapeutiques comme l’insuline, anticorps, ex). Remarquons pourtant que quelques résultats patents émanent de petites « start-up « et non de grands groupes.

3) Les OGM permettront de produire des plantes résistantes à la sécheresse, des plantes résistantes à des maladies, des plantes réduisant les « intrants », en particulier les pesticides.

20 ans plus tard, quel est le bilan ?

Monsanto a travaillé essentiellement sur quelques espèces : le maïs, le soja, le coton, le colza et plus récemment le riz. Ce sont les plantes les plus cultivées dans le monde. Normal me direz-vous ! Le « hic », c’est que 95 % des plantes OGM dont ils vendent les semences sont résistantes à un herbicide total, le glyphosate (« Roundup »), le plus vendu dans le monde, pour lequel ils ont le brevet. La stratégie « géniale » de Monsanto a été d’élargir le marché du Roundup à la terre entière. En effet, il s’agissait d’un herbicide total « très bien » pour la SNCF ou les allées des parcs et jardins. En faisant des plantes transgéniques capables de neutraliser le Roundup, Monsanto en a fait un herbicide spécifique qui peut être utilisé sur toutes les cultures et dans le monde entier ! Monsanto a compris, avant ses concurrents, tout l’intérêt de la transgénèse pour rendre spécifiques des herbicides totaux, sans avoir à investir pour chercher des molécules spécifiques. Les quelques plantes résistantes à des virus ont révélé, qu’après quelques années, des souches du virus « contournent » cette résistance comme c’est souvent le cas des variétés résistantes obtenues par les méthodes de sélection traditionnelles. En 2011, l’autorisation a été donnée de commercialiser la variété de pomme de terre « Fortuna » résistante au mildiou, obtenu par la firme BASF (wait and see !).

Les enjeux économiques et « le petit village gaulois »

Très rapidement aux États-Unis (maïs, soja, coton) puis au Brésil et en Argentine (soja), et petit à petit en Asie (riz) et dans la plupart des pays d’Europe, Monsanto a imposé ses variétés et le Roundup en kit... À titre d’exemple, 60 % du soja cultivé dans le monde aujourd’hui est « Roundup Ready ». Le brevet du colza du même nom, échu en 2011, a été prolongé avec des clauses coercitives incroyables.

Les instances politiques et sanitaires ont avalisé les résultats obtenus par Monsanto et par des chercheurs dont il est prouvé qu’il y avait le plus souvent conflit d’intérêt. Par ailleurs, Monsanto ne s’est jamais caché d’un puissant lobbying à Bruxelles pour faire plier les plus réticents. Dès 1995, plusieurs articles, émanant d’équipes canadiennes, suédoises, françaises, ont montré que les plantes transgéniques n’étaient pas sans conséquence sur des rats : déjà l’augmentation du nombre de certains cancers était mise en évidence. Sous l’impulsion de quelques scientifiques, d’associations, des Verts... la France a obtenu un moratoire pour que des plantes OGM ne soient pas cultivées dans notre pays. Rappelons que quelques « fêlés » arrachaient les plants de maïs de champs d’expérimentations privés ou publics. La France, 1° économie agricole européenne est, à ce jour, quasiment la seule nation européenne qui a résisté.

Il faut rappeler ici l’intérêt de voir le documentaire de Marie-Monique Robin, diffusé sur ARTE en 2010, « le Monde selon Monsanto » : elle décrypte, sans contestation possible : 1) les incroyables conflits d’intérêt entre la FDA (Food and Drug Administration), le clan Bush, père et fils, et Monsanto, 2) Les conséquences économiques et sanitaires de l’utilisation du Roundup, en particulier chez les paysans des pays émergents, 3) les publications critiques de quelques chercheurs vilipendés (le DVD peut s’obtenir facilement sur le site d’ARTE).

Il faut dire que les bénéfices de Monsanto sont insolents et les enjeux actuels et à venir colossaux (sauf si...) Tout le monde peut connaître ou retrouver l’importance économique des espèces précitées, mais sachez, qu’à ce jour, le marché européen de protéines végétales est de 3 milliards d’euros. En France, certes on ne cultive pas d’OGM, mais ceux-ci rentrent dans la composition d’une part majeure de notre alimentation. Et cela, sans étiquetage, tant qu’on ne dépasse pas la norme de 0.9 % dans l’aliment (Quand on sait, l’effondrement des structures publiques chargées des contrôles et de la Répression des Fraudes, on frémit).

La publication française et la controverse

Gilles-Eric Seralini est un des très rares chercheurs, français et mondial, à vouloir s’accrocher à démontrer l’imposture des résultats publiés en faveur des OGM. Il s’est attaché, en particulier, à dénoncer la prise en compte d’études exclusivement réalisées sur une durée de 90 jours, et la nocivité du Roundup sur la santé (incidence de cancers et autres troubles graves). Il est l’auteur d’un certain nombre de publications qui ont été retoquées par les revues scientifiques à comité de lecture ou violemment critiquées.

La publication que lui et son équipe viennent de sortir dans une des revues les plus prestigieuses en matière de toxicologie, est novatrice. Pour la première fois, une étude aussi complète avec autant de variables (ex : les différentes doses du maïs transgénique ingéré et/ou d’herbicide) et sur une durée aussi longue (2 ans au lieu de 90 jours). Je ne commenterai pas les résultats, n’ayant pu, à ce jour lire la publication, mais vous les avez tous entendus dans vos médias favoris et subi « le choc des photos ».

Seralini a expliqué combien il avait reçu d’avertissements et de menaces de la part de collègues (« Pense à ta carrière ») et comment il avait vu le budget de son laboratoire fondre à mesure qu’il persistait dans ses recherches. Il ne s’est pas caché pour dire que l’étude (3 millions d’euros) avait été financée par 2 marques de grande distribution - soucieuses de leur image - et par la CRIGEN (Comité de Recherche Indépendant sur le Génie Génétique) présidée, non par un dangereux gauchiste ou « khmer vert », puisqu’il s’agit de Corinne Lepage ! Un des vice-présidents en est Jean-Marie Pelt, professeur d’Université très médiatique, défenseur de l’Écologie depuis la première heure, mais dont le moins qu’on puisse dire c’est qu’il n’a jamais été le chantre de l’écologie politique !

Seralini a fait remarquer que le Comité de lecture avait accepté l’article après plusieurs mois d’analyse et que les résultats feraient l’objet d’une contre-expertise. Il a simplement dit « tout de go » qu’il réfuterait l’expertise de l’Agence de Sûreté des Aliments Européenne. Un certain nombre de chercheurs liés au lobby Monsanto pour leurs crédits de laboratoire, le professeur Fellous (spécialiste de Génétique Humaine... mais président de l’Association française des Biotechnologies) et des journaux comme « Le Monde » ont dénoncé cela. C. Lepage a rétorqué que les experts de cette Agence étaient juges et partis puisque c’était eux qui avaient « produit » les autorisations de vente des OGM mis sur le marché par Monsanto, et, en particulier leur fameux maïs NK 603 utilisé dans les expériences. On devine l’incidence sur la réputation de ses experts et sur l’avenir économique de Monsanto si, d’aventure, les résultats en question étaient confirmés !

Une autre critique (des mêmes) était que la souche de rat qu’il avait utilisée avait une forte propension à former des tumeurs. Séralini a simplement répondu qu’il a, par souci d’honnêteté scientifique, utilisé la même souche que les chercheurs de Monsanto.

C’est un comble et proprement scandaleux de voir certains esprits dégainer sur le champ, sans attendre la contre-expertise, et critiquer le lien entre l’équipe incriminée avec une « officine anti-OGM » : c’est David contre Goliath. Les mêmes ne semblent pas se poser de questions sur les conflits d’intérêt et le combat incroyable qu’a mené et que conduira Monsanto pour défendre ses intérêts.

À côté de ces études de Séralini et al. des recherches récentes publiées dans l’« European Journal of Agronomy » démontrent l’effet délétère dans le sol sur l’adsorption de micro-éléments déterminants et sur l’état microbiologique des sols, facteur clé des rendements.

Vous pouvez m’avancer qu’on s’acharne contre cette seule « méchante et capitaliste multinationale » Il faut savoir que le marché des semences (brevetées), clé de l’alimentation humaine et des animaux d’élevage, est aujourd’hui, au niveau mondial, dans les mains d’une petite dizaine de sociétés. Parmi elles, Monsanto occupe une place très largement dominante.

En guise de conclusion

J’espère avoir été objectif, même si, vous l’avez compris, il y a longtemps que pour des raisons scientifiques, économiques et éthiques, j’ai choisi mon camp. Je suis perplexe sur la confusion grandissante des esprits concernant l’apport des sciences - biologiques, climatiques, etc.. - sur un certain progrès de la société. La France manque cruellement d’émissions scientifiques de vulgarisation. Les vocations parmi les jeunes pour un métier scientifique et a fortiori de recherche régressent. Un pur rationaliste comme Claude Allègre (le malheureux !) devient relativiste quand il s’agit d’admettre un rôle majeur de l’activité humaine dans le réchauffement climatique. Toutes les découvertes scientifiques et technologiques ont leur revers de médaille et on a tous à l’esprit des exemples de dérives dans l’application de certaines recherches. L’Histoire de l’Art, depuis peu est enseignée, mais pas l’histoire ou la philosophie des Sciences.

Enfin, « last but not the least », il faut un contrôle démocratique de l’utilisation des découvertes scientifiques. Il s’agit d’un combat politique. Il faut exiger qu’il y ait des instances réellement indépendantes qui jugent du bien-fondé de la mise sur le marché d’un produit qu’il soit semence ou... médicament (cf. le livre récent concernant les médicaments inutiles voire dangereux). Admettrons nous encore longtemps qu’en France, le scandale de l’amiante n’ait toujours pas été jugé, qu’on continue à utiliser le Bisphénol A et les perturbateurs endocriniens, qu’on dit « arrêter » de donner de nouveaux permis d’exploration des gaz de schistes alors qu’en sous-main, il y a une cinquantaine de « forages » en cours, qu’on accepte que les industries pharmaceutiques (qui, après des bénéfices faramineux, ferment des pôles recherche et développement) - à court d’innovations - mettent sur le marché des médicaments de 2° et 3° génération sans avantage nouveau que celui d’être vendu plus cher, que Nestlé embouteille de l’eau partout dans le Monde, qu’elle vend à prix d’or à une « élite », et dans le même temps fait descendre les nappes phréatiques et assèche les puits artésiens (cf. Le remarquable Thema sur Arte le 1/09/2012), mais je m’arrête parce que sinon je vais parler du nucléaire....

Épilogue

« Dieu sait » que j’ai aimé mon métier de chercheur à l’INRA, même si ses choix résolument productivistes me dérangeaient souvent. Comme j’ai regretté le temps ou, bien que soumis à des évaluations tous les 2 ans, on pouvait utiliser les crédits des ministères pour développer les recherches qu’on estimait utiles pour la collectivité. Le temps est arrivé où ses crédits ne payent plus que les gommes et les crayons et qu’il faut aller chercher, avec les dents, des moyens auprès du privé, de l’Agence Nationale pour la Recherche ou de l’Europe, sur des thématiques définies par eux, parce que juteuses et... tendance.

Enfin, une anecdote : celle concernant un de mes collègues (Jean-Pierre Berlan, directeur de recherche à l’INRA de Montpellier) et critique dès la première heure sur l’impact des OGM. En Conseil Scientifique - dont j’ai été membre élu pendant 8 ans - notre Chef de Département a dit qu’il appartenait à une secte... « Quand on veut noyer son chien, on dit qu’il a la rage »

Hervé LOT

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